samedi 8 novembre 2014

Rien ne s’arrête jamais dans les jardins. Glorifiez le jardinier qui est en vous ?

 Rien ne s’arrête jamais dans les jardins. Glorifiez le jardinier qui est en vous ?


Oui, en novembre il faut retourner le sol et l'ameublir.
Prendre la terre à pleine bêches, c'est une sensation aussi appétissante et gastronomique que de prendre la nourriture à pleine louches ou à pleine cuillères. La bonne terre, comme la bonne nourriture, ne doit être ni trop grasse, ni trop lourde, ni trop froide, ni trop humide, ni trop sèche, ni
trop gluante, ni trop dure, ni trop crue : elle doit être comme du pain, ou du pain d'épices, comme un gâteau, comme une pâte levée ; elle doit s’émietter mais non pas se dissoudre ; elle ne doit pas former des blocs ni des mottes, mais quand vous la retournez à pleines bêches, elle a loisir de respirer et de se répandre en petits grumeaux et en grains de gruau. Et alors, ce sera une terre appétissante et comestible, cultivée et loyale, une terre profonde et tiède, perméable, aérée et tendre, bref, une terre bonne comme on dit de certains hommes qu'ils sont bons ; et dans cette vallée de larmes, il n'y a rien de meilleur, comme on le sait.
         Sache homme jardinier, que durant ces journées d'automne, on peut encore transplanter. Pour cela il faut commencer par creuser avec la bêche, autour de l'arbuste ou de l'arbre, un trou, le plus profond possible : puis, on enfonce la bêche par-dessous et on appuie sur le manche, ce qui a d'ordinaire pour résultat de casser ledit manche en deux.
         Il y a des gens, les critiques en particulier, et aussi les orateurs publics, qui aiment bien parler de racines ; ils proclament, par exemple, que nous devons retourner à nos racines, ou que tel ou tel mal doit être déraciner complètement, ou bien qu'il nous faut pénétrer jusqu'aux racines de quelque problème. Eh bien, je serais heureux de les voir, s'il leur fallait déraciner, disons un cognassier de trois ans. Je voudrais voir M. J.Louis pénétrer jusque dans les racines d'un arbuste même tout petit, un ruscus, par exemple. Je souhaiterais observer M.Pierre occupé à déraciner mettons un vieux peuplier. Je pense qu’après de longs efforts ils se mettraient debout, s'étireraient et ne prononceraient qu'un mot. Et je te donne ma tête à couper que mot serait : «Sacredié ! » J' en ai fait l'épreuve avec des cydonias et je confirme que travailler sur les racines est chose fort pénible et qu'il vaut mieux laisser les racines ou elles sont. : elles savent bien pourquoi elles veulent aller si profond ; je dirais volontiers qu'elles ne tiennent pas à l'attention que nous avons pour elles. Il vaut mieux quitter les racines et se mettre à amender la terre.
       Oui, amender la terre. C'est quand on nous l’amène un jour de gel, fumant comme le bûcher d'un holocauste, qu'un tas de fumier est le plus beau. Et lorsque son fumet parvient au ciel , il chatouille l'odorat de Celui qui comprend tout et Celui la dit : « Ah, ah, voilà un jolie petit fumier ! »
       Nous aurions ici l'occasion de parler du cours mystérieux de la vie : un cheval mange de l'avoine et il envoie le résidu aux œillets et aux roses, qui, l'année suivante, glorifieront Dieu de leur parfum, si agréable qu'il ne peut pas se décrire. Eh bien, c'est ce parfum que le jardinier sent par avance dans ce tas de fumier fumant mêlé de paille : il renifle d'un air gourmand et il distribue attentivement ce dont de Dieu à tout son jardin, comme qui étend de la confiture sur du pain pour donner à un enfant. « Tiens, petite fleur, et bon appétit. A vous, Madame Herriot, je te donnerai un gros tas en récompense des jolies fleurs bronzées que vous eûtes ; et à toi, phlox impétueux, je te ferai un lit avec cette paille grise. »
Pourquoi serrez-vous le nez, braves gens ? Trouveriez-vous que ça ne sent pas bon ?


« Extrait de l'année du jardinier de Karel Capek »





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