Rien ne s’arrête jamais dans les jardins. Glorifiez
le jardinier qui est en vous ?
Oui, en novembre il faut retourner le
sol et l'ameublir.
Prendre la terre à pleine bêches,
c'est une sensation aussi appétissante et gastronomique que de
prendre la nourriture à pleine louches ou à pleine cuillères. La
bonne terre, comme la bonne nourriture, ne doit être ni trop grasse,
ni trop lourde, ni trop froide, ni trop humide, ni trop sèche, ni
trop gluante, ni trop dure, ni trop
crue : elle doit être comme du pain, ou du pain d'épices,
comme un gâteau, comme une pâte levée ; elle doit s’émietter
mais non pas se dissoudre ; elle ne doit pas former des blocs ni
des mottes, mais quand vous la retournez à pleines bêches, elle a
loisir de respirer et de se répandre en petits grumeaux et en grains
de gruau. Et alors, ce sera une terre appétissante et comestible,
cultivée et loyale, une terre profonde et tiède, perméable, aérée
et tendre, bref, une terre bonne comme on dit de certains hommes
qu'ils sont bons ; et dans cette vallée de larmes, il n'y a
rien de meilleur, comme on le sait.
Sache homme jardinier, que durant
ces journées d'automne, on peut encore transplanter. Pour cela il
faut commencer par creuser avec la bêche, autour de l'arbuste ou de
l'arbre, un trou, le plus profond possible : puis, on enfonce la
bêche par-dessous et on appuie sur le manche, ce qui a d'ordinaire
pour résultat de casser ledit manche en deux.
Il y a des gens, les critiques en
particulier, et aussi les orateurs publics, qui aiment bien parler de
racines ; ils proclament, par exemple, que nous devons retourner
à nos racines, ou que tel ou tel mal doit être déraciner
complètement, ou bien qu'il nous faut pénétrer jusqu'aux racines
de quelque problème. Eh bien, je serais heureux de les voir, s'il
leur fallait déraciner, disons un cognassier de trois ans. Je
voudrais voir M. J.Louis pénétrer jusque dans les racines d'un
arbuste même tout petit, un ruscus, par exemple. Je souhaiterais
observer M.Pierre occupé à déraciner mettons un vieux peuplier. Je
pense qu’après de longs efforts ils se mettraient debout,
s'étireraient et ne prononceraient qu'un mot. Et je te donne ma
tête à couper que mot serait : «Sacredié ! »
J' en ai fait l'épreuve avec des cydonias et je confirme que
travailler sur les racines est chose fort pénible et qu'il vaut
mieux laisser les racines ou elles sont. : elles savent bien
pourquoi elles veulent aller si profond ; je dirais volontiers
qu'elles ne tiennent pas à l'attention que nous avons pour elles. Il
vaut mieux quitter les racines et se mettre à amender la terre.
Oui, amender la terre. C'est quand on
nous l’amène un jour de gel, fumant comme le bûcher d'un
holocauste, qu'un tas de fumier est le plus beau. Et lorsque son
fumet parvient au ciel , il chatouille l'odorat de Celui qui comprend
tout et Celui la dit : « Ah, ah, voilà un jolie petit
fumier ! »
Nous aurions ici l'occasion de parler
du cours mystérieux de la vie : un cheval mange de l'avoine et
il envoie le résidu aux œillets et aux roses, qui, l'année
suivante, glorifieront Dieu de leur parfum, si agréable qu'il ne
peut pas se décrire. Eh bien, c'est ce parfum que le jardinier sent
par avance dans ce tas de fumier fumant mêlé de paille : il
renifle d'un air gourmand et il distribue attentivement ce dont de
Dieu à tout son jardin, comme qui étend de la confiture sur du pain
pour donner à un enfant. « Tiens, petite fleur, et bon
appétit. A vous, Madame Herriot, je te donnerai un gros tas en
récompense des jolies fleurs bronzées que vous eûtes ; et à
toi, phlox impétueux, je te ferai un lit avec cette paille grise. »
Pourquoi serrez-vous le nez, braves
gens ? Trouveriez-vous que ça ne sent pas bon ?
« Extrait de l'année du jardinier de
Karel Capek »